La cathédrale de Reims est un des premiers chefs d’œuvre de l’art gothique comme la cathédrale de Paris mais en plus esthétique par certains aspects. Elle abandonne par exemple le premier étage pour un triforium qui est un simple couloir de circulation à l’intérieur du mur. Ceci permet de faire rentrer beaucoup plus de lumière et évite de trop découper l’espace intérieur. Le style est plus pur mais ces cathédrales ont beaucoup plus en commun qu’il n’y parait!
L’architecte de la cathédrale de Reims, Robert de Coucy, a dessiné cette beauté en 1212. On parle d’un incendie et de 1211 mais je préfère cette date hautement symbolique 12-12 surtout qu’il a fallu du temps pour la retracer (on va dire ça comme ça).
Ce qui définit ces cathédrales d’art gothique par rapport au style Roman est bien sûr l’utilisation de l’ogive. C’est le thème du jour!
I/ Rappel
A/ Style Roman
Un petit rappel.. Dans le style Roman les voutes forment un demi cercle. Si on presse au milieu de l’arc sur la clé de voute la force se divise en 2 et chaque pilier reçoit au bout une force principalement verticale : les forces sont faciles à prédire et les arcs plus faciles à construire! Oui l’utilisation de contreforts existaient déjà car la voute n’étaient pas monobloc et homogène : des forces latérales (pression, glissement, etc) naissent donc quand même mais rien à voir avec le défi que ce sont lancés les futurs bâtisseurs en cassant ces angles!
Cette architecture Romane est robuste mais ne permet pas de faire entrer beaucoup de lumière. Elle nécessite des murs épais mais aussi de nombreuses voutes pour couvrir de grandes superficies. La solution ambitieuse fut de créer des voutes avec des arcs en 3 points. Comme le passage à cet arc spécial posait de nombreux problèmes les premières cathédrales ont gardé dans un premier temps le plan carré pour faciliter leur mise en œuvre et aussi se rassurer psychologiquement. Pour ces cathédrales (du XIIième XIIIième siècle) on peut parler de style gothique classique. La cathédrale de Reims illustre parfaitement ce style ogival.
B/ Plan
Un petit rappel sur les entraxes de piliers définis sur cette base carrée dans l’article précédent :
Le but du jeu c’est de vérifier que cela fonctionne en traçant les voutes. C’est probablement la partie la plus importante de toute la structure car ce sont elles, avec les piliers, qui vont acheminer toutes les forces jusqu’au sol et garantir la stabilité de l’édifice. Les forces générées par l’utilisation des arcs en 3 points sont également habilement redirigées sur les contreforts via des arcs dits boutants.
C/ L’arc en 3 points
J’ai galéré et même écrit une formule qui retrouve le rayon de courbure d’un arc en fonction de la largeur et de la hauteur d’une fenêtre… Si j’ai le temps je la vérifierai quand même et la mettrai en annexe. Bref tout ça pour m’apercevoir qu’au XII ième siècle ces arcs sont enfantins à tracer : on place le centre de son compas au sommet du pilier en plein sur son axe et on trace un arc de cercle passant par le sommet du pilier opposé (voir image ci-contre). Ce tracé permet une continuité des forces car l’arc, comme dans le style Roman, arrive tangent à l’axe du pilier ou des colonnes.
Bien sûr on fait de même sur l’autre pilier, les cercles se croisent et c’est gagné!
Si vous ne l’avez pas remarqué, en bonus sur le plan, vous avez un combo : en plus du tracé du plan d’élévation il y a le tracé d’une grande voute et des voutes théoriques du collatéral (reliant les points CGA ou AHD au choix).
Pour illustrer un peu l’envergure de la tâche voilà dans un premier temps à quoi ressemble la croisée d’ogive vue d’en bas (attention cette photo peut vous mettre la tête à l’envers!) :
La première travée (celle avec le gros trou) est un peu spéciale : elle est plus large car elle se situe au niveau de l’entrée sous les 2 tours d’où le pilier spécial plus massif.
Ce qu’il est important de remarquer pour la suite c’est surtout la partie à gauche :
– le pilier de gauche est formé par un gros cylindre avec 4 colonnes qui forment un carré sur lesquels finissent les voutes.
– la croisée d’ogive forme un X apparemment bien carré
Toute la difficulté va être de définir au mieux ces piliers car on voit bien que ce sont eux qui supportent toutes les voutes!
II/ Le pilier
Il porte bien son nom car c’est sur lui que TOUTES les dimensions vont reposer. Et j’en ai désormais la preuve par le tracé.
Il est marqué sur le plan de Viollet le duc que le pilier n’est pas carré mais rectangulaire 2m48 sur 2m40 (voir image ci-contre).
Cette forme n’influence pas la fonction puisque c’est l’axe du pilier qui fait référence. Je peux donc me faciliter la tâche en modélisant un pilier carré et je pourrai toujours revenir plus tard pour modifier l’échelle suivant X ou Y pour donner la forme rectangulaire voulue.
Je dois quand même trouver quelle mesure prendre.. 2m40? 2m48? Eh bien maintenant que j’ai bien les pieds en tête (si je puis dire..) je remarque que 2m40 est un multiple de 12 or 1 pied = 0.3m environ = Facile!
Ils n’ont pas du se prendre la tête à l’époque et prendre un rayon de 4 pieds : 4×0.3048 = 1m2192 soit un diamètre de 2m44!!! pile poil entre 2m40 et 2m48 2 dites donc…
Une bonne chose de faite car plusieurs raisons me poussent à adopter le pied : la principale c’est le tracé du pilier et des différentes voutes.
On a vu que le cercle est à la base de toute géométrie et travailler sur une base 12 permet de plus facilement effectuer des divisions…
Petit rappel d’ailleurs : 1 pouce = 0.0254m et 1 pied = 12 pouces = 0.3048m
Maintenant il ne reste qu’à le modéliser et il vaut mieux s’aider d’une ou plusieurs photos pour voir à quoi ressemble ces piliers :
Il y a des jours où on ne devrait pas modéliser… Je ne sais pas pour quelles raisons mais ce matin j’ai décidé de modéliser le pilier et ses 4 colonnes engagées avec une photo en sachant que :
– l’extérieur des 4 colonnes est tangent au diamètre de 8 pieds
– le rayon du gros cylindre au milieu ne dépasse pas le centre des colonnes autour (on voit qu’il y a un renfoncement, des ombres derrière les colonnes).
Puis j’ai réactivé un calque et je suis retombé sur l’image du plan en vue de dessus… J’ai donc ajusté au mieux les échelles et voilà le résultat :
Pour l’instant ce n’est pas de toute beauté mais au moins j’ai fixé les dimensions et c’est déjà énorme. On peut donc passer à plus compliqué : la naissance des voutes et pour cela on va devoir étudier un peu la croisée d’ogive…
IV/ Tracé des voutes
A/ 4 voutes identiques?
Petit rappel j’étais parti sur la base d’un tracé de 4 voutes identiques pour le couloir collatéral grâce aux entraxes de 7m35 dans le sens longitudinal ET transversale :
Cela donne ce plan en vue de dessus :
Ce qui donne en théorie pour le tracé ceci :
Pour vérifier cela je me suis amusé à superposer les plans et même si je ne peux pas trop l’affirmer on voit que les traits en rouge correspondent relativement bien :
Voute intérieure collatéral | Voute extérieure fenêtre |
Par contre vous avez du remarquer sur la photo que la voute côté fenêtre est particulière : pour réussir à insérer les parties en pierre de la fenêtre on ne conserve qu’une seule arche de la voute (la partie bleue sur la photo ci-dessous).
En effet les fenêtres sont juste des décors et on peut les retirer sans que tout s’écroule.
On peut comprendre cela en regardant le sommet de la voute : elle n’a pas de « clé » ce qui signifie qu’elle n’a pas été conçue pour encaisser une charge.
On peut donc pas partir sur 4 voutes identiques même si la 4 ième est « tronquée en largeur » pour y insérer la fenêtre et intégrer le pilier dans le mur :
B/ 7m35? Décalage avec la réalité
J’étais donc parti pour modéliser le collatéral avec l’entraxe de 7m35. La solution est bonne, logique pleine de sens mais malheureusement elle présente trop d’écart avec la réalité.
Voyez le faux problème :
Ma première approche est en bleu, j’ai vulgarisé les 2 piliers qui sont bien écartés de 7m35 et le seule point positif c’est qu’évidemment on obtient une belle croisée d’ogive carrée. Pour le reste :
– le passage libre entre les 2 piliers et la largeur de la voute est alors d’environ 4m
– la hauteur de la voute est légèrement inférieure à celle du plan (bien qu’elle corresponde avec la section vue en coupe à gauche représenté par le trait pointillé)
– on remarque que le pilier rentre presque entièrement dans le collatéral contrairement à la photo du dessus (bleu blanc rouge) où on remarque que le pilier se confond avec le mur extérieur.
Comme je tiens à respecter au mieux la cathédrale de Reims, je vais devoir trouver d’où vient cet écart et comment y remédier. L’entraxe de 7m35 reste pour moi idéal mais si je conserve ces dimensions cela va nuire à l’esthétisme et au rendu final :
– Il me manquera un peu de distance pour m’adosser au mur extérieur ce qui fait que je devrais épaissir le mur si je veux avoir les mêmes dimensions extérieures et le même emplacement des contreforts.
-Je devrais également réduire l’espace intérieur si je veux noyer le pilier dans le mur
-Enfin si je veux conserver la même hauteur les voutes seront compressées en largeur ce qui discréditera entièrement toute la construction puisque le style gothique classique s’appuie sur des arcs 3 points basiques où le centre de l’arc est dans l’axe des piliers.
C/ Ecart de 0.35m?
Personnellement à part pour donner une largeur plus grande au collatéral je ne vois pas pour l’instant la raison pour laquelle les 7m35 n’ont pas été respectés. Je suis parti donc à l’envers et si je superpose le sommet de la voute avec celle du plan je tombe sur un décalage d’environ 0.35 :
Une autre image pour comprendre le décalage cette fois en décalant l’image, le plan pour venir exactement sur mon axe du collatéral :
On remarque bien que le pilier dépasse alors à gauche d’environ 0.35m.. Dans ce cas on remarque aussi qu’à droite on est bon : environ la moitié du pilier rentre dans le mur ce qui correspond aux photos. En théorie cet axe est, lui, décalé de la valeur d’un diamètre d’une colonne…
Avec ces 0.35m de décalage on arrive à 7m35 +0 .35 = 7m70 un peu comme ce plan :
Sur un autre plan je vois également un entraxe de 7m60 + 0.16m jusqu’au mur. Je me demande si cela ne me donne pas le diamètre de la colonne côté fenêtre.
D/ Conclusion sur les voutes
1/ Fin de la logique du carré?
La logique de la voute carrée était à toute épreuve mais visiblement ce n’est pas aussi simple dans la réalité. En fait tout se complique au dessus du tailloir des chapiteaux des colonnes du rez-de-chaussée, à la naissance des voutes…
Recréer le système de croisées d’ogive est plus compliqué qu’il n’y parait surtout quand vous êtes confronté à la réalité de la construction et à des plans qui présentent des informations différentes et à des images de basses qualités. Le principal problème en fait c’est de savoir par où commencer. Comme la principale difficulté est d’inclure la fenêtre dans la voute tout en respectant l’arc côté nef j’aurais peut-être dû commencer par la voute côté fenêtre.. Mais je serais quand même tombé sur ce petit décalage à un moment où à un autre. La réalité c’est je vais devoir remanier le plan du carré parfait.
En superposant un peu les informations je vois bien que d’autres cathédrales ont des largeurs de galeries collatérales qui ne respectent pas cette forme et plus je serai général, mieux cela sera pour ma compréhension. Si j’avais lu les différents tomes de Viollet-le-Duc j’aurais également compris cela plus tôt 😀
2/ Les 3 zones
Comme c’est trop simple de simplement se baser sur l’image et de recopier le voute telle qu’elle est me voilà donc avec un problème à résoudre. Pourquoi se donner tant de mal? En fait si je connais la raison de ce décalage, même si je n’ai pas les dimensions exactes, je pourrai au moins respecter la ou plutôt une logique de construction.
A postériori je vois bien une raison pour ce décalage : l’épaisseur du mur au-dessus des voutes. Le fameux mur qui forme la nef où se situe le triforium. Ce pilier est en fait divisible en 3 zones / tranches longitudinales :
– la première tranche en bleu fait monter des colonnes jusqu’au sommet pour supporter les grandes voutes centrales de la nef.
– la deuxième tranche au milieu se trouve pile poil sous le mur de la nef et inclut donc toutes les voutes longitudinales inférieures de la nef.
– la dernière tranche du pilier en rouge sert à porter les voutes transversales du collatéral.
Cette disposition était aussi sur les piliers de la Cathédrale de Paris. On retrouve 3 parties encore plus distinctes avec côté nef 3 colonnes (hhg), côté collatéral 1 seule colonne (e) puis dans le sens longitudinale des voutes (archivoltes) formées par des colonnettes (abcd) qui supporte le mur de la nef.
3/ Le pilier.. C’est pas le pied
En recherchant sur internet on arrive toujours à trouver une thèse qui convient et j’ai par exemple trouvé ce superbe dessin de pilier dans l’architecture raisonnée de Viollet-le-Duc qui accrédite la thèse précédente ô combien confortable d’un plan de voute carré :
J’ai mis un peu de couleur et on voit bien que l’angle est de 45° pour la voute croisée du collatéral en rouge. En y prêtant plus attention on remarque aussi une chose intéressante dans la partie supérieure pour la voute verte : l’angle est également de 45° mais l’axe est décalé : il ne passe par l’axe du pilier. Cela m’ouvre une perspective nouvelle : pour les petits décalages les bâtisseurs préféraient-ils décaler les axes sur les piliers plutôt que de redessiner des nouvelles voutes? D’un point de vue logistique et pour limiter les erreurs vu l’infime différence entre les voutes.. ça a du sens!
4/ Mauvaise surprise
Au final j’ai perdu un temps fou à cause d’un postulat de départ qui semblait évident et ce qui peut paraître fou c’est que ce décalage n’apparaît pas dans les plans d’élévation. Après réflexion il y a 2 raisons :
– les voutes longitudinales et transversales ne sont pas des références. C’est bien la croisée d’ogive qui donne le tempo
– sur ces plans d’ensemble l‘axe des piliers est considéré comme une référence de positionnement. Cela suit la logique de ‘un problème après l’autre’. On trace les plans d’ensemble, la vue de dessus et la vue de face pour obtenir la cathédrale aux dimensions souhaitées.
Pour tracer les voutes il faut donc plus se fier aux plans de détails qui fournissent tous les indices dont on a besoin pour tracer les voutes : épaisseurs des murs, placement et détails de découpe des voutes avec leurs éventuels décalages, etc.
En modélisation 3D certains logiciels fonctionnent exactement avec le même principe. Sur Blender ou Catia V4 par exemple pour modéliser un assemblage on place dans un premier temps l’origine sur une référence choisie puis on définit des points de référence qui serviront à accrocher le système de coordonnées d’un autre objet.
Sur mon projet l’origine globale est pour l’instant le centre d’une travée Z=0. Cela permettra de créer rapidement l’autre côté de la nef par symétrie. Mais je peux rapidement utiliser une autre référence en plaçant un repère local.
V/ Conclusion
J’ai recommencé les tracés une bonne dizaine de fois et j’ai quand même avancé en fixant définitivement les axe des piliers et les dimensions des colonnes mais… Je vais tout recommencer en repartant de 0 pour les voutes avec de nouvelles logiques comme tracer une naissance de voute asymétrique qui inclut le décalage pour avoir 4 voutes identiques ou abandonner la croisée carrée!
D’après la superposition des images, mes précédents tracés et comme je sais maintenant que le décalage des axes sur le piliers était utilisé pour compenser les petits écarts j’ai bon espoir de résoudre le problème mais rien est gagné.
Un autre indice aurait du me mettre la puce à l’oreille : la forme non carrée du pilier. En effet Viollet-le-duc a mesuré le pilier comme faisant 2m40 sur 2m48 dans le sens transversal pour rigidifier la structure or cela permettrait aussi d’absorber ce fameux décalage.
Surprise : comment certains pensent que le mètre était utilisé : 3 pieds 1/3 = 3pieds + 3 pouces = 0.9144 + 0.0762 = 0.9906m…